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martes, 26 de octubre de 2010

Paul Gauguin, homme douteux, peintre enchanteur



Le Monde, 26/10/2010

C'est l'histoire d'un ancien trader devenu artiste et objet de scandale. Il a nom Paul Gauguin (1848-1903). La Tate Modern de Londres montre, en onze salles et une centaine de tableaux bien accrochés, mais aussi des sculptures, des dessins, des gravures, des fragments de correspondances et des photographies, comment le petit banquier a forgé son propre mythe, jusqu'à se prendre de passion pour ceux des autres et achever sa vie dans la mouise, mais au paradis terrestre.

Durant l'été 1888, en Bretagne, Gauguin croise Paul Sérusier, qui peint sous sa houlette un paysage sur une boîte à cigares (Le Talisman, musée d'Orsay). Il lui donne ce conseil : "Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l'outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon." L'exposition de Londres montre que Gauguin, pour les couleurs, y allait gaiement. Ses citrons sont acides, d'autant que leur jaune jouxte une ombre bleue - un contraste de couleurs complémentaires parmi les plus forts. Ses pommes sont de deux sortes : mûres et très rouges, ou cueillies trop tôt et bien vertes - autre contraste. Le Christ est jaune, mais la robe des paysannes agenouillées autour du calvaire d'un bleu soutenu, qui évoque le lapis-lazuli que les peintres anciens réservaient au manteau de la Vierge. Une leçon que les fauves, Matisse en tête, sauront retenir.

C'est la plus importante rétrospective Gauguin depuis celle du Grand Palais, à Paris, en 1989. Dès la première salle, le ton est donné : des autoportraits, de toutes ses périodes, venus souvent, comme le reste de l'exposition, de musées lointains, ou de collections privées dont on les extrait rarement.

Le voilà en 1876, coiffé d'un chapeau sans bords. A cette époque, le jeune agent de change peint le dimanche, assidûment, depuis trois ans. Il est doué, pour un amateur, mais le regard qu'il lance est celui d'un jeune homme qui doute.

Surtout si on le compare avec cet autre autoportrait, peint en 1893 : Gauguin apparaît toujours chapeauté, ses cheveux et sa moustache ont poussé, mais il brandit son pinceau comme une arme et sa palette comme un bouclier. Apparemment, le doute a disparu. Il est certes beaucoup moins fortuné que dans sa jeunesse financière, mais il doit revenir des îles vers Paris où, pense-t-il, on va l'accueillir en héros ; du moins est-il riche de cette espérance.

C'est qu'il lui en est advenu des choses, durant ces vingt ans de peinture. Le Salon de 1876 a accepté le premier envoi de l'amateur - un paysage. Les impressionnistes, non sans réticences de la part de certains, l'ont accueilli dans le groupe, et, en 1881, il a vendu son premier tableau au marchand Durand-Ruel pour la coquette somme de 1 500 francs. Comme la Bourse l'a aussi enrichi, et que son épouse danoise, Mette, met régulièrement au monde des petits Gauguin, l'avenir s'annonce radieux.

Las, en janvier 1882, c'est le crash. L'Union générale se déclare en faillite, les Bourses plongent. Gauguin décide de prendre le taureau par les cornes et, avec toute sa petite famille, abandonne Paris et la finance pour s'installer à Rouen où, c'est décidé, il sera peintre.

Une vaste exposition, qui a eu lieu l'été au Musée des beaux-arts de Rouen, a montré, à travers Monet, Pissarro et Gauguin, en quoi la ville normande était la "capitale des impressionnistes ". Car Rouen ne manque pas de charme : les loyers y sont bas, les collectionneurs gras et, sinon nombreux, du moins passionnés.

Gauguin se livre enfin tout entier à la peinture (une quarantaine de toiles répertoriées en dix mois), mais le succès ne vient pas. La famille émigre alors au Danemark. Gauguin y végète quelque temps, avant d'y abandonner femme et enfants pour commencer une vie aventureuse.

Il explorera les terres inconnues de haute et de basse Bretagne, devenant le leader charismatique de l'"école de Pont-Aven", naviguera jusqu'au Panama où, pour gagner des sous, il participe au creusement du Canal, tirera les oreilles de Van Gogh à Arles, rêvera de s'établir au Tonkin pour finalement échouer à Tahiti, puis aux îles Marquises, où il distribue généreusement les germes de la syphilis à de très jeunes filles.

L'homme, on le voit, est douteux. Le peintre, en revanche, est enchanteur. Il a tout, le bougre : la fougue, la passion, la sensibilité, l'invention - la reine des facultés, à en croire Delacroix - et surtout le culot. On le constate dès la deuxième salle de l'exposition qui rassemble des oeuvres sur le thème de "rendre étrange le quotidien".

Un enfant dort dans son berceau, et ce sont les figures du papier peint qui s'animent et suggèrent son rêve. Un dessin de Delacroix qu'il reproduit pieusement, mais très librement, accroché à un mur, domine une nature morte où les rouges et les verts chers aux deux artistes, Gauguin et son illustre devancier s'entrechoquent. Son ami Laval se penche sur des pommes et un objet étrange, assez repoussant : il s'agit en réalité d'une céramique, de Gauguin lui-même, une sorte de vase informe d'où surgit le visage d'une femme. L'objet original figure aussi dans l'exposition.

Car il sculpte aussi, l'animal ! Des vases vaguement anthropomorphes, au début, puis le voilà qui taille le bois, se fabrique une canne, ou des sabots (pour la Bretagne), s'inspire de la facture des idoles océaniennes pour représenter les rudes beautés des îles auxquelles il conseille : "Soyez amoureuses, vous serez heureuses."

Ailleurs, un faune moustachu, qui lui ressemble assez, culbute gaillardement une demoiselle, et l'encadrement qu'il sculpte pour la porte de sa case aux Marquises affiche fièrement la mention "Maison du jouir". Tout un programme, qu'il peut se vanter, plus d'un siècle après sa mort, de faire partager aux visiteurs de l'exposition : la plupart en ressortent béats.

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